Défense de la Cité

(Les EGIDES de la République)

Ecole, Justice, Industrie, Défense, Europe, Santé  

 

Armée-Cité

 

Les armées, régulières (émanant d'un gouvernement légitime) et permanentes, sont organisées en armées professionnelles (leurs membres sont des militaires de carrière ou engagés sur contrat) ou en armées de conscription (une partie de leur effectif est composée de conscrits qui effectuent un service militaire).

Elles peuvent être complétées par des réserves, constituées, soit par des civils volontaires ayant reçu une formation spécifique, soit par d'anciens conscrits. Les réservistes sont appelés pour des missions particulières ou en cas de crise.

Le contrôle politique sur les armées s'exerce généralement par l'intermédiaire d'un ministère de la défense.

Selon les pays, ces composantes sont plus ou moins indépendantes dans leur domaine d'emploi (terre, mer, air), mais de plus en plus, elles s'intègrent dans une organisation interarmées responsable de la conduite des opérations, de la cohérence des moyens et coiffant un certain nombre de services communs (santé, renseignement militaire, systèmes d'information et de commandement, infrastructures, etc.), chaque armée conservant alors ses prérogatives en matière de préparation et de disponibilité des forces (entraînement et soutien).

Le caractère très organisé d'une armée se traduit par la hiérarchisation de ses membres (les militaires) dans des grades militaires. L'organisation d'une armée est également apparente dans sa propre structure qui, malgré quelques variations locales, reprend presque partout le même schéma et les mêmes règles. (Chef d'état major…)

Ce type d'organisation est suffisamment caractéristique pour être entré dans les habitudes communes et une armée est largement synonyme de structure rigide, où respect de l'autorité et obéissance sont la règle. Dans les démocraties modernes, cette notion d'obéissance est limitée au cadre strict des lois en vigueur et des conventions internationales.

 

Armée-Nation 

 
 
 

Avec la suspension de la conscription et la professionnalisation des armées, les liens qui existaient entre la Nation et l'armée, et qui reliaient les générations entre elles, ont été rompus. Toute une génération de jeunes gens « ne fait plus ses classes », c'est désormais l'école qui éduque à la défense. Cet enseignement initie les élèves à la compréhension des enjeux géopolitiques, aux exigences et aux contraintes de la défense militaire et de la défense civile, aux principes qui régissent la prévention des conflits armés et aux modalités de leur résolution. La défense et la paix sont désormais enseignées ensemble, sur la base des valeurs démocratiques et des devoirs du citoyen.  

La Défense a connu, au cours des siècles, des acceptions de plus en plus larges et diversifiées. Désormais, elle recouvre des domaines d'intervention qui s'étendent au-delà des engagements militaires. La défense se fait globale parce qu'elle est armée, civile, économique et culturelle.
  • La Défense militaire est de la compétence de l'armée de terre, de l'armée de l'air, de la marine et de la gendarmerie, avec des objectifs stratégiques de dissuasion, de protection et de prévention pour garantir les intérêts fondamentaux de la Nation.
  • La Défense civile est assurée principalement par les sapeurs pompiers, la sécurité civile, la police nationale, la police de l'air et des frontières, les ministères et organisations de la Santé, du secteur des transports et des communications, pour la prévention et la protection contre les risques de toute nature (feux de forêts, inondations, séismes, cyclones, risques écologiques) autant sur le plan national qu'international.
  • La Défense économique ressort du domaine des Douanes, de la Direction de la surveillance du territoire (DST), du Comité national pour la compétition et la sécurité économique (CNCSE), sorte « d'intelligence économique » de la France visant à favoriser la production et la circulation des ressources, à améliorer la compétitivité nationale dans une économie mondialisée, à protéger les bases de données et les transferts technologiques, à lutter contre l'exploitation illicite des brevets, la désinformation informatique et les contrefaçons.
  • La Défense culturelle participe au rayonnement de la francophonie, à l'expression de « l'exception culturelle française » par des structures et des programmes spécifiques.

La Défense repose désormais sur la formation de l'esprit civique, sur la solidarité et la cohésion sociale qui concernent l'ensemble des citoyens et relèvent de leur éducation dès l'école. Pour cela, les principes de la défense et ses champs de compétence ont été inscrits dans le programme d'éducation civique du collège (notamment en classe de 3e où une réflexion sur la citoyenneté doit être engagée), et dans le cours d'éducation juridique, civique et sociale, au lycée. Par ailleurs, des trinômes académiques ont été mis en place par convention passée entre l'Éducation nationale et les Armées pour favoriser des initiatives conjointes sur les problèmes de défense. Enfin, les Journées d'appel de préparation à la défense (JAPD) sont, après le recensement, une étape obligatoire dans le « parcours civique » des jeunes gens et jeunes filles afin de les initier aux valeurs et aux métiers de la défense. Cependant, les difficultés de mise en œuvre de cette éducation à la défense restent nombreuses. Celle-ci doit surmonter les idées reçues et l'ignorance de nombreux adolescents sur ces questions.  

Particulièrement chez les jeunes, la Défense est l'objet de stéréotypes, qui conduisent soit au refus d'aborder le problème soit, à l'inverse, à un intérêt centré uniquement sur les faits d'arme. Ainsi, la défense est rarement entendue comme un attribut de la souveraineté nationale ni même comme une expression de la Nation. Elle n'est pas non plus rapportée à un ordre international garanti par l'Organisation des Nations unies. D'une façon générale, elle est rarement entendue comme la mobilisation des hommes et des moyens pour défendre les valeurs de la démocratie, pour organiser la protection des populations civiles ou pour mener des actions à titre humanitaire. Ce n'est que de façon sporadique, au gré de l'actualité et des reportages médiatiques, que la diversité des domaines de la Défense est perçue.

Réduire la Défense à une acception guerrière entraîne de nombreux malentendus qui rendent son enseignement d'autant plus délicat que certains jeunes sont sensibles aux logiques d'affrontement et de violence. Les opérations militaires, les manœuvres, sont des images plus familières que le concept politique de défense parce qu'elles évoquent un passé raconté dans les livres d'histoire, la littérature, le cinéma... ou les bandes dessinées. C'est à travers les batailles, les guerres et les traités célèbres, que beaucoup imaginent la défense : de la guerre des Gaules au débarquement de Normandie, les élèves ont un imaginaire fécond sur les aspects strictement militaires de la défense. Leurs représentations s'accompagnent d'un intérêt souvent prononcé pour l'évolution de l'arsenal technique, la panoplie des armes à travers les âges, et parfois aussi, pour les jeux stratégiques.

Si les discours qui dénoncent les effets dévastateurs des conflits auxquels les hommes se sont livrés au cours des siècles sont parfaitement légitimes, ils accréditent une vision réductrice de la Défense. Nombre d'adolescents l'expriment de façon ambivalente, tantôt par la critique radicale de l'armée et l'antimilitarisme, tantôt par une certaine fascination pour les conflits militaires : « Les représentations des armées, des soldats et de la guerre s'inscrivent sur une longue durée, celle de l'histoire écrite ou imaginée » (Line Sourbier-Pinter, Au-delà des armes). Les luttes de pouvoir et d'intérêt, qui conduisent à des conquêtes, des occupations, des colonisations, illustrent les enjeux politiques ou économiques, idéologiques ou religieux, de la Défense. Toutefois, en dressant un tableau sombre des politiques passées, on associe Défense et conquête sur le seul terrain des rapports de forces. Rarement l'analyse porte sur les interventions préventives et sur les conséquences qu'une absence de politique de défense aurait pu entraîner.

Les lieux communs relatifs à la Défense et l'ignorance de ses enjeux sont d'autant plus répandus que les démocraties modernes, sociétés développées et de bien-être, sont confrontées à un effacement du sens de la mobilisation collective. Les valeurs positives de la Défense ne sont plus celles de Valmy ou de l'appel du 18 Juin 1940. Des expressions comme « le peuple en armes » ou « la défense de la patrie » ont perdu en grande partie leur signification. Par ailleurs, les mots de « résistance » et de « libération » sont aujourd'hui utilisés par des peuples ou des groupes qui peuvent se réclamer de régimes totalitaires et justifier le terrorisme par leur combat « contre les démocraties occidentales ».
Le sacrifice pour la défense de la patrie ou pour des idéaux semble réservé aux générations du siècle dernier, celle des poilus de la Grande Guerre ou des combattants des Forces françaises libres. Mais il est vrai que le XXe siècle a vu aussi se développer les armes de destruction massive qui touchent de nombreux civils subissant les bombardements et les privations. Les deux guerres mondiales et les guerres coloniales ont par ailleurs construit des mémoires familiales douloureuses qui ont divisé les peuples et laissé des empreintes durables dans les inconscients collectifs, souvenirs que les adultes ont longtemps voulu enfouir dans le silence.
Et si les commémorations se sont multipliées récemment, elles se manifestent fréquemment par des expressions de repentance, de culpabilité ou de responsabilité collectives auxquelles les plus jeunes se sentent étrangers. Il convient donc, pour éduquer à la défense, de montrer d'abord la complexité des situations passées et leur évolution (dans lesquelles les renversements d'alliance ne sont pas rares) pour ensuite retracer les progrès du droit de la guerre, l'importance des alliances et des traités, l'entrée progressive de la philosophie des Droits de l'homme dans l'esprit de défense. La transformation des politiques de défense en mobilisation au service de la paix participe de l'histoire récente des peuples ; elle s'accompagne d'un long cortège de hauts faits mais aussi de souffrances et de sacrifices.
 
 
Un patrimoine culturel
 
La Défense a inspiré un nombre considérable d'œuvres architecturales, iconographiques, musicales, scientifiques et technologiques. Expressions des arts et traditions populaires, pièces de musée de l'art officiel ou salon d'artistes contestataires, la palette des représentations militaires est étendue. La chanson, les cartes postales, la caricature, l'affiche, mais aussi le théâtre, l'opéra, la peinture et la sculpture, la tapisserie royale ou républicaine sont traversés par des scènes de bataille ou de repos du guerrier, par des armées entières ou des héros distingués et décorés, par des figures nobles et courageuses ou des armées en déroute, offrant l'image tragique de la débâcle ou autre Bérézina.
Le patrimoine architectural, lui aussi, est significatif de l'implantation sur l'ensemble du territoire national des forces de la défense. Les villes de garnison, comme la ville de Metz, possèdent des forts, des casernes, des capitaineries, des arcs de triomphe, aux dimensions imposantes ; des sites stratégiques voient se dresser des phares ou des constructions comme le fort de Brégançon ; dans de simples villages des stèles, des monuments aux morts, modestes parfois, mais qui émeuvent parce qu'ils rendent hommage à tous ceux qui « ont donné leur vie pour la patrie » ou qui sont « morts pour des idées », ont été érigés. Un mémorial, comme celui de Caen, rend hommage à tous ceux, quelle que soit leur nationalité, qui ont combattu pour la liberté lors du débarquement de Normandie.

La Défense est également à l'origine de découvertes techniques et scientifiques : elle a permis la production de machines des plus extravagantes ou des plus performantes sur terre, dans les airs ou sur les océans. Les armes deviennent, avec le temps, des objets de collection, comme ces drapeaux et uniformes, dont certains ont été dessinés par les plus grands artistes, à l'instar de Léonard de Vinci, qui inventa aussi bien des machines que des uniformes pour différents régiments, dont celui des gardes suisses du Vatican... De la préhistoire à la conquête spatiale, la défense a inspiré l'un des patrimoines les plus riches de la condition humaine, remarquable par son inventivité et sa créativité, ou par son conformisme et sa révérence au pouvoir : armées aux ordres des puissants ou armées de libération.

Enfin, c'est aussi un patrimoine intellectuel et moral, porteur à la fois de traditions et de valeurs communes qui transcendent les différences que nous transmet l'histoire militaire. La discipline et l'obéissance, l'esprit de corps et la solidarité, le sens de l'intérêt général et du sacrifice, de la responsabilité et de la décision, le courage, pouvant aller jusqu'à la résistance à un ordre illégitime, sont des exemples de valeurs toujours d'actualité qu'on peut pointer dans les événements récents.
 
 
Des valeurs, des savoirs, des principes
 
La Défense participe de la culture des peuples et de l'histoire des Nations. Au-delà des moyens techniques des armées, elle mobilise les hommes, avec leur apport culturel, leurs valeurs et leurs savoirs. Par ailleurs, dans une société démocratique, la défense repose sur un ensemble de principes du droit, sur des lois et sur des codes de déontologie. Elle puise sa légitimité dans les déclarations, les conventions et les traités de droit international, qui garantissent la protection des réfugiés et des minorités, qui condamnent les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité, qui interdisent toutes les formes de traite des êtres humains, la torture et l'esclavage, posent des procédures et des règlements pour prévenir les conflits... En application de ces principes, un droit d'ingérence est parfois invoqué pour intervenir sur un territoire étranger  ; des forces multinationales peuvent être envoyées pour la protection des populations civiles. Ainsi, la défense a donné lieu à une abondante jurisprudence, à des mesures disciplinaires ou à des réhabilitations, à des mesures d'instruction, à des condamnations ou des relaxes, devant des tribunaux militaires ou la justice de droit commun ainsi que devant des tribunaux internationaux.

La Défense fait appel à toutes les sources du droit pour organiser la sécurité de la population et du territoire national contre les agressions extérieures ou intérieures, contre les dangers naturels ou les forces de déstabilisation qui mettent en cause la sûreté des personnes. Elle travaille avec ses partenaires, dont la Justice et la police ; certains de ses corps spécialisés, qui sont au contact direct de la population, sont particulièrement connus des citoyens, comme la gendarmerie, les pompiers ou les corps de santé. Elle participe aussi des forces de défense européenne et des forces engagées dans le cadre de l'ONU. Aujourd'hui, la culture de la paix est intimement liée à la défense au nom des principes démocratiques et des droits fondamentaux - tel le droit à la sûreté, le premier inscrit dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Jusqu'aux attentats du 11 septembre 2001, nombre de citoyens des États démocratiques se contentaient du « chauvinisme du bien-être », dont parle le philosophe Jürgen Habermas. Ils avaient le sentiment que la démocratie était acquise et intangible. Les conflits semblaient cantonnés à des régions lointaines, aux pays du Sud. Or, le terrorisme a fait prendre conscience que rien n'est jamais acquis, ni la paix ni le bien-être ; les démocraties sont inachevées et fragiles.
Parallèlement aux progrès du droit international et à la création d'instances pour prévenir ou réguler les conflits, l'éducation à la citoyenneté démocratique, la formation de l'esprit critique contre les diverses formes de désinformation ou de manipulation des opinions, l'enseignement des libertés fondamentales, le sens de l'interdépendance des nations, l'apprentissage de la solidarité et de la coopération, participent des impératifs de défense. Apprendre la défense, c'est poser la question de la paix, de la sécurité et des libertés fondamentales, au premier rang desquelles, les Droits de l'homme. Cette conception contemporaine de la défense est le fruit d'une lente évolution des mentalités et des progrès du droit.
 
 
L'Education à la Défense
 

Si le principe même d'une éducation aux valeurs démocratiques est unanimement accepté, force est de constater que l'éducation à la Défense est relativement peu abordée dans les cours. Pourtant, dans les collèges et les lycées, où cohabitent désormais des élèves originaires de pays parfois dévastés par la guerre et que leurs parents ont fui sous les persécutions, il est essentiel d'enseigner que la défense ne s'exerce pas nécessairement au nom d'un impérialisme ou d'une force aveugle, de conflits ethniques ou religieux, mais qu'elle peut être une politique de solidarité qui prévient le recours aux armes. Encore faut-il parvenir à surmonter les réticences de certains adolescents pour tout ce qui concerne les questions de défense. Des obstacles dus à certaines perceptions erronées, à des changements dans les mentalités mais également liés aux nouvelles données internationales, doivent être levés. Quels sont-ils ?

Le premier obstacle réside dans la relation perturbée que les jeunes générations entretiennent avec l'histoire. Les enquêtes auprès de lycéens européens montrent que la défense leur évoque des guerres meurtrières, des massacres.  Les conflits du XXe siècle, notamment les années sombres de la Shoah, les guerres coloniales, laissent effectivement le double sentiment, d'une part, de la responsabilité écrasante de pays qui se vantent d'avoir institué la démocratie et, d'autre part, de la « victimisation » croissante de la société civile, la première à subir les effets des armes de destruction massive. Cette culpabilité historique est apparue clairement dans une recherche (Projet Connect 1999-2001) sur la citoyenneté européenne : le personnage et la période de l'histoire de l'Europe qui ont le plus marqué les lycéens italiens, néerlandais, portugais ou français interrogés sont... Adolf Hitler et le nazisme, cités par près de 85 % d'entre eux !

Le deuxième obstacle sur lequel peut buter l'éducation à la Défense tient à la difficulté d'identifier l'ennemi ou l'adversaire. Certaines menaces planent aujourd'hui sur le monde, sans que des États se déclarent la guerre. Il est difficile de déterminer d'où vient l'auteur de l'agression, quels sont les enjeux des hostilités, quelle est la légitimité de telle ou telle intervention extérieure : des aspects économiques, religieux, ethniques, territoriaux se mêlent. L'impression d'un danger multiforme crée un sentiment diffus d'insécurité. Cela explique, en partie, pourquoi certains enseignants ne traitent pas des questions relatives à la défense, craignant d'aviver les angoisses de leurs élèves.

La troisième difficulté que rencontre l'éducation à la Défense est celle de l'effacement des frontières physiques entre les États, au bénéfice d'une circulation accrue des personnes, des biens et de l'information, notamment au sein de zones géographiques comme l'Europe ou l'Amérique du Nord. Que devient la notion de « défense du territoire » ? Les attentats qui ont frappé les tours de Manhattan ont touché une ville cosmopolite, symbole de la mondialisation de l'économie et de la culture. Qui était effectivement visé ? Comment expliquer que le territoire national, au sens politique, ne disparaît pas avec la globalisation des échanges ni avec la suppression de certaines frontières ? La difficulté de compréhension de nos contemporains sur ce qu'est l'espace Schengen en est un exemple.

En quatrième lieu, ce sont les valeurs, telles que la patrie ou la Nation, qui autrefois fondaient l'unité du pays, qui ne semblent plus avoir de résonances ni même de force symbolique suffisamment perceptible par les jeunes : le flambeau et la devise de la République, le drapeau, la Marseillaise donnent lieu parfois à des manifestations intempestives de dérision ou d'hostilité (comme ce fut le cas lors d'un match amical de football entre la France et l'Algérie). La communauté des citoyens est fragmentée. Dans des sociétés multiculturelles, l'histoire nationale renvoie parfois à d'anciens conflits avec des pays d'origine. Par ailleurs, l'expérience de la démocratie n'est pas également partagée ; certains immigrés viennent de pays qui n'ont jamais connu la démocratie. Travailler sur les malentendus culturels, sur les conflits de valeurs ou de croyances permet alors d'éviter le risque de violences pouvant dégénérer en conflits ethniques, racistes ou religieux, voire en émeutes urbaines. La défense du territoire rejoint de plus en plus des préoccupations de défense civile, en écho à des conflits internationaux.

Le cinquième obstacle rencontré se manifeste par la résistance ou l'opposition aux autorités constituées. L'antimilitarisme, encore vivace il y a quelques années, s'est estompé. En revanche, certains adolescents réagissent de façon hostile envers les institutions représentant l'autorité, qu'il s'agisse du policier, du juge ou du militaire. Il convient donc de mener un travail en profondeur sur les représentations des jeunes à l'égard des institutions, à l'égard des agents du service public, ceux qui « portent  uniforme ».

Le dernier obstacle tient à la résurgence et au développement de revendications identitaires et aux communautarismes, qui confondent identité et citoyenneté démocratique. Certains de nos contemporains ne distinguent pas ce qui relève de la filiation, de l'héritage, de l'affectif, du symbolique, de ce qui est de l'ordre de la volonté, du choix, du droit, de l'intérêt général, du contrat social. Si identité et citoyenneté peuvent entrer dans une dialectique féconde, elles se détruisent réciproquement lorsqu'elles s'absorbent l'une l'autre : l'identitaire amplifie un moi collectif centré sur des intérêts particuliers au détriment des droits et des devoirs du citoyen libre de choisir ses appartenances et ses convictions.
  
Pour favoriser l'enseignement de la Défense, les programmes d'éducation à la citoyenneté proposent une réflexion sur la définition et les pratiques de la citoyenneté démocratique. Quatre grands thèmes peuvent donner sens à cet enseignement :
  • L'histoire de la démocratie est aussi l'histoire d'une conquête des libertés : libération des peuples, progrès des Droits de l'homme, contribution des instances internationales au maintien de la paix. La défense n'apparaît plus seulement comme une série de batailles meurtrières. En France, si les forces de défense sont porteuses de traditions militaires, elles sont aussi, aujourd'hui, soumises à une déontologie et aux limites strictes du droit.
  • La relation entre la Défense et les devoirs du citoyen est capitale. La défense, comme la citoyenneté, implique un lien d'allégeance au pouvoir souverain, un rattachement à l'État, dans le respect des organisations internationales et du droit international, et un lien d'appartenance à la Nation. Ce double lien, d'allégeance et d'appartenance, donne un sens à la dialectique des droits et des devoirs, fondement de la démocratie ; il peut se prolonger dans un ensemble plus large, comme l'Union européenne, qui fonde une citoyenneté commune entre les membres de l'Union.
  • L'accent mis sur les enjeux de la démocratie favorise la prise de conscience de l'intérêt à agir ensemble et de la nécessité de se mobiliser pour défendre des valeurs. Mais la professionnalisation de l'armée pose nécessairement la question de la solidarité avec la Nation. La coupure entre un milieu professionnel auquel on délègue les missions de défense et des citoyens qui ne sont plus appelés à servir sous les drapeaux, favorise l'effacement de l'esprit de défense, y compris lorsqu'il s'agit de la défense civile. Les adolescents qui s'adressent à l'armée sont souvent très intéressés par l'acquisition de compétences professionnelles mais peu enclins à l'esprit de sacrifice pour défendre la collectivité.
  • La Défense civile permet de saisir les implications d'une politique de défense fondée sur l'intérêt général. Elle permet aussi d'aborder la délicate question du droit d'ingérence humanitaire, celle du rôle et de la responsabilité des forces de maintien de la paix, comme les Casques bleus. Enfin, la diversité des missions actuelles de la défense civile est illustrée par les interventions pour la protection contre les catastrophes naturelles et pour la sécurité écologique. Désormais, la défense ne se conçoit pas seulement comme une réponse ultime, en urgence, mais comme un ensemble de moyens destinés à prévenir des dangers à venir, à prémunir les générations futures de risques majeurs.
 

L'ancrage de la démocratie dans la géopolitique troublée de notre époque est un domaine auquel l'école de la République se sent mal préparée. Pour remédier à un certain désarroi, l'initiation à la Défense fait désormais partie de la formation des enseignants à travers des initiatives conjointes prises au niveau local et au niveau national avec les autorités de défense. Les enjeux sont essentiels pour l'éducation des futurs citoyens et pour l'avenir démocratique des pays de l'Union européenne, dont le socle commun est la Convention de sauvegarde des droits de l'homme. 

 

Un Service Civique

 

 

S'inscrivant dans une continuité historique à la croisée de nombreuses formes d'engagements citoyens que l'on trouve de façon universelle à travers le monde dans toute société (volontariats, bénévolats, service militaire, et plus particulièrement en France dans l'histoire récente: coopération, service volontaire, service à la communauté, service civil des objecteurs de conscience, service national ville, volontariat civil de cohésion sociale et de solidarité, etc.), le service civique est un dispositif d'encouragement et de soutien à l'engagement citoyen - issu des réactions politiques aux émeutes de novembre 2005. Réintégré au Code du service national, le service civique a pris la suite du service civil volontaire qui avait été mis en place en 2006 et dont le trop faible développement avait conduit à sa refonte pour atteindre des effectifs plus significatifs, afin qu'il ait un réel effet d'entraînement du plus grand nombre dans la citoyenneté.

Il est constitué de deux formes :

  1. « l'engagement de service civique » : d'une durée de six à douze mois destiné aux jeunes âgés de 16 à 25 ans, principalement financé par l'État ;
  2. « le volontariat de service civique » : d'une durée pouvant atteindre les deux ans, il est ouvert à partir de l'âge de 26 ans et sans limite au-delà ; le soutien financier de l'État porte principalement sur un ensemble de cotisations sociales ; fin 2013, ce volet du service civique n'a pas encore fait l'objet d'une politique de communication et de développement et le monde associatif ne se l'est pas encore pleinement approprié.

Ces deux formes sont ouvertes à tous les Européens communautaires. Elles le sont également aux Européens non communautaires et aux non-Européens en situation de séjour régulier en France depuis au moins un an.

Les associations et les collectivités locales ainsi que divers secteurs d'action d'intérêt général, tels que les sapeurs-pompiers, sont les principaux organismes et secteurs d'accueil pouvant mettre en œuvre le service civique, sous réserve d'un agrément délivré par les pouvoirs publics.

Visant une démarche civique individuelle et collective accompagnée par les organismes d'accueil (associations, collectivités territoriales, etc.), le contrat de service civique n'est pas un contrat de travail.

Les missions de service civique sont accessibles à tous les jeunes de 16 à 25 ans : par principe, les missions proposées ne doivent en aucun cas exclure les jeunes n'ayant pas de diplômes ou de qualifications. Seule la motivation à s'engager et à agir au bénéfice d'une cause d'intérêt général est requise et se justifie comme critère de sélection par les organismes d'accueil. Ainsi, les jeunes en situation de handicap, comme les jeunes sans formation et n'ayant pas encore pu identifier leur projet professionnel peuvent aussi y accéder de plein droit.

La motivation doit prévaloir avant toute autre considération - ce qui pose la question à chacun : sur quoi, quel problème de société, je désire m'engager pour « changer les choses », apporter ma pierre à un « mieux vivre », notamment auprès des plus en difficulté. Il est donc ouvert à toutes et tous (y compris les Européens et les non-Européens en séjour régulier depuis un an) de 16 ans à 25 ans sous la forme de l'« engagement de service civique ».

Par ailleurs, le service civique est ouvert, sans limite d'âge au-delà de 25 ans, sous la forme du « volontariat de service civique ».

 

Le service civique est un engagement volontaire d'une durée de six à douze mois destiné, d'une part à toutes les personnes âgées de 16 à 25 ans sous l'intitulé « Engagement de service civique » et d'autre part aux personnes âgées de plus de 25 ans sous un second intitulé de « Volontariat de service civique » (la durée est alors de six à vingt-quatre mois). Le « service civique » donne lieu à une indemnité et à une couverture sociale prises en charge intégralement par l'État. La loi lui a donné pour objectif de renforcer la cohésion nationale et la mixité sociale. Il offre l'opportunité à tous les jeunes de servir les valeurs de la République et de s'engager en faveur d'un projet d'intérêt général collectif en effectuant une mission auprès d'un organisme agréé, organisme à but non lucratif ou personne morale de droit public, en France ou à l'international.

Ce dispositif propose neuf « domaines prioritaires », très larges, pour exercer une mission de service civique : Culture et loisirs, Développement international et action humanitaire, Éducation pour tous, Environnement, Intervention d'urgence en cas de crise, Mémoire et citoyenneté, Santé, Solidarité, Sport.

Le service civique est valorisé dans le parcours de formation du jeune dans le secondaire, les cursus universitaires ou la validation des acquis de l’expérience. Le décret n°2011-1009 publié en août 2011 prévoit la valorisation du service civique dans les formations post-baccalauréat.

Une attestation de service civique est délivrée à la personne volontaire à l’issue de sa mission. Cette attestation est accompagnée d’un document complémentaire décrivant les activités exercées, les aptitudes recensées, les connaissances et les compétences acquises par le volontaire pendant la durée de son service civique. Ce document pourra être intégré dans le livret de compétences du volontaire et/ou son passeport orientation et formation.

La prise en charge financière

Au cours de son service civique, un jeune engagé âgé de 16 à 25 ans bénéficie, en fonction de sa situation, d’une indemnisation mensuelle comprise entre 467,34 € (cas général) et 573 € (indemnités à fin-2013) intégralement versée par l’État. Au-delà de 25 ans, le volontaire en service civique bénéficie d’une indemnisation prise en charge par son organisme d’accueil. Les frais de repas et de transports sont couverts soit par des prestations en nature (titre restaurant, accès subventionné à un établissement de restauration collective, etc.) soit par le versement d’une indemnité complémentaire de 106,31 € par mois.

Quel que soit son âge, le volontaire bénéficie durant son service civique d’une protection sociale (maladie, maternité, accident du travail, maladie professionnelle, famille, invalidité, décès et retraite) intégralement financée par l’État. L’indemnité de service civique n’est pas soumise à l’impôt sur le revenu et son montant n'est pas pris en compte dans le calcul des prestations sociales.

Toute personne en service civique bénéficie d’une formation préalable et d’un accompagnement durant la réalisation de sa mission de service civique. Le jeune engagé en service civique (de 16 à 25 ans) bénéficie en outre d’une formation citoyenne et d’un accompagnement dans la réflexion sur son projet d’avenir.

Pour les volontaires précédemment demandeurs d’emploi et inscrits à Pôle Emploi, leur statut de demandeurs d’emploi est conservé, mais le demandeur passe de la catégorie 1 (personnes sans emploi immédiatement disponibles) à la catégorie 4 (personnes sans emploi non immédiatement disponibles). Pour les bénéficiaires de l’allocation chômage, celle-ci est suspendue pendant toute la durée de la mission de service civique ; le statut de demandeur d’emploi est cependant conservé.

L'Agence du service civique est responsable du pilotage et de la gouvernance du nouveau dispositif. Elle prend la forme d’un groupement d’intérêt public (GIP).

La procédure d’agrément par l'agence des organismes d’accueil est simple. Un seul agrément est requis pour accueillir des personnes volontaires en service civique et bénéficier de l’aide de l’État.

Le recours à l’intermédiation est autorisé pour recruter, accompagner et former des volontaires en service civique. Cela permet ainsi à de petites structures (communes ou petites associations) de recruter plus facilement des personnes volontaires en service civique.

L'objectif du service civique, et plus largement des volontariats, est de permettre à des jeunes (en particulier mais pas seulement) de s'investir à plein temps dans un projet d’intérêt général et de pouvoir s'y consacrer à plein temps pendant plusieurs mois en bénéficiant d'un statut protecteur (sécurité sociale, entre autres droits). On retrouve ce type d'institutions et d'engagements de générosité dans toutes les sociétés humaines, sur tous les continents et à toutes les époques (cf. Marcel Mauss et l'importance du don dans le « faire société »).

Une possibilité que la loi 1901 sur les associations à but non lucratif à elle seule ne permet pas en dehors d'un bénévolat à plein temps ou de la création d'emploi nécessitant des financements appropriés et garantis dans la durées (cas des CDI, alors que les subventions ne sont jamais renouvelables automatiquement). La nouveauté des dispositifs de volontariat, par différenciation avec le bénévolat, réside dans l'indemnisation (qui n'est en rien une « rémunération » dans sa définition légale).

Une indemnisation qui est nécessairement en dessous du SMIC (sinon, il y aurait un glissement massif du salariat vers le volontariat, ce qui détruirait le marché de l'emploi) et, plus problématiquement, en dessous du seuil de pauvreté, lui-même déjà très proche du SMIC en raison de la dégradation même de ce dernier depuis sa création.

De plus, le service civique est parfois vu comme une manière pour l'État (tous les partis politiques sont favorables à la création et au développement d'un service civique) de rendre plus supportable la baisse de subventions aux organismes agréés s'accompagnant ainsi de la fourniture d'une main d’œuvre bon marché, dès lors que les volontaires en service civique seraient utilisés sur des activités pouvant être confiées à des salariés. Cependant les pouvoirs publics sont extrêmement vigilants sur ce point: non seulement la loi sur le service civique précise explicitement qu'il ne saurait y avoir de substitution à l'emploi salarié, mais l'administration est elle-même vigilante pour garantir cette non-substitution à toutes les étapes: agrément, définition et mise en œuvre des missions de volontariat, évaluations, etc. Toute situation de substitution à l'emploi peut ainsi être identifiée et stoppée dès lors que les acteurs concernés en prennent conscience et agissent dans le respect des principes législatifs du service civique.

La possibilité de s'investir dans un projet d’intérêt général est offerte à tous en tout premier lieu par le bénévolat, qui dispose d'un cadre particulièrement approprié depuis la loi 1901 sur les associations à but non lucratif. Pour celles et ceux qui disposent de moyens de subsistance suffisants par leur situation sociale pour se permettre de consacrer plusieurs mois à plein temps dans de tels projets, le bénévolat peut être suffisant, mais, du coup, il exclut nombre de personnes de l'engagement citoyen que représente le volontariat.

Pour répondre à ce vide, la nouveauté et la spécificité des volontariats réside dans la création du droit de percevoir une indemnité de subsistance, qui ne constitue en rien une « rémunération », dans la mesure où ce statut ne relève pas du Code du Travail, ni du marché du travail (comme tout acte de citoyenneté, donner la vie, militer dans un syndicat, etc.). C'est également pour cette raison que cette indemnité est nécessairement en dessous du SMIC, afin de ne pas se confondre avec le travail salarié et de façon à ne pas lui faire concurrence.

Lorsqu'un organisme d'accueil (association, collectivité locale, etc.) confond le service civique avec l'emploi salarié (lien de subordination, postes de travail impersonnel encadré comme celui d'un salarié, professionnel exécutant, exigence de compétences et de rendements professionnels, etc.), le service civique peut alors être perçu comme une véritable substitution à l'emploi salarié.

Dans des cas flagrants de telles substitutions, le conseil des prud'Hommes est compétent pour requalifier certaines missions de service civique en contrats de travail dès lors que les faits de substitution à l'emploi salarié peuvent être démontrés (rapport hiérarchiques employeur/employé, lien de subordination, exécution d'ordres sans participation à la définition des projets et missions, absence d'accompagnement pédagogique dans l'implication et l'engagement citoyen personnel, etc.).

Inversement, la défense de l'emploi salarié et des emplois du secteur associatif ou public ne peut se faire au détriment du droit de tous les citoyens à s'engager au profit de l'intérêt général dans des projets à fort potentiel d'initiatives contribuant à l'épanouissement personnel dans une expérience à forte plus-value civique, sociale et citoyenne. De ce point de vue, les salariés du monde associatif ont au contraire un rôle pédagogique indispensable à jouer pour accompagner les volontaires du service civique afin de leur permettre de pleinement réussir la réalisation des projets dans lesquels ils veulent s'investir. C'est pour cela que le dispositif actuel a prévu un soutien financier - certes modestement fixé à hauteur de 100 euros par mois - pour l'accompagnement de chaque volontaire accueilli.

Depuis la mise en place du cadre législatif, l'Agence du service civique a piloté au niveau national une intense politique de mise en œuvre (communication, agréments, critères d'agrément, formation civique et citoyenne, formation des « tuteurs », montée en puissance budgétaire, évaluations, enquêtes d'opinion, etc.).

Par ailleurs, soucieuses d'accompagner au mieux cette montée en puissance, les associations les plus impliquées dans le développement du service civique ont constitué une « Plateforme inter-associative pour le service civique » (regroupement informel se réunissant régulièrement tout au long de l'année) afin de se donner la capacité d'agir collectivement en faveur du développement du service civique.

De plus, un « Comité du Service Civique Associatif » a été créé autour d'une démarche de « Charte du service civique associatif » visant à garantir la qualité de l'accueil des jeunes en service civique.

L'internationalisation du Service civique est en outre une perspective naturelle pour le développement du service civique et de son impact sur les sociétés à travers le monde, y compris dans sa capacité à être utilisé comme une alternative sérieuse à la guerre et au service militaire, comme ses origines liées à l'objection de conscience, au côté des volontariats de toutes sortes, peuvent en indiquer un sens historique.

 
 
Contre un Patriot Act, pour l’État de droit
 
 

Suite aux récents attentats, la question de lois spécifiques destinées à renforcer la lutte contre le terrorisme a été posée avec une force inconnue auparavant. Certains politiciens ( ont été accueillies comme une manifestation d’une conception des libertés relevant d’un romantisme désuet ou totalement inadaptée à l’ampleur de la menace à laquelle nous sommes confrontés. Dans ce débat, les libéraux se placent naturellement dans le camp de ceux qui défendront les libertés attaquées.

Les principes d'un Patriot Act mettraient en cause les principes des articles 7 à 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen :

  • Art. 7. Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu’elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l’instant : il se rend coupable par la résistance.
  • Art. 8. La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.
  • Art. 9. Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.

Ces principes peuvent être ainsi résumés : pour que vous subissiez une peine privative de liberté, il faut qu’une loi réprime un acte que vous avez commis et qu’un juge vous condamne à la peine prévue par la loi.

Autrement dit, les modalités de fixation des peines privatives de liberté sont une manifestation concrète du principe de séparation des pouvoirs. Ces principes constituent le socle de l’État de droit. Ils s’opposent à l’arbitraire qui permet à une personne ou à un groupe de prendre une mesure coercitive et de la faire appliquer selon son bon vouloir.

Les principales mesures envisagées dans le cadre d’un « Patriot Act à la française » consistent à laisser à la discrétion du pouvoir exécutif des mesures qui nécessitent en temps normal l’autorisation d’un juge telles que des écoutes, l’accès aux correspondances, notamment sur internet ou la mise en détention d’individus. Ce que l’on propose d’abandonner, c’est tout simplement le cœur des valeurs que nous avons adoptées depuis deux siècles. Étrange situation : tout le monde s’accorde à dire que c’est au nom des valeurs que nous portons que nous luttons contre le terrorisme mais le premier moyen qui est envisagé pour défendre ces valeurs est de porter des coups aux principes sur lesquelles elles sont fondées !

Cependant, un partisan des mesures d’exception un peu cynique pourrait répondre que lorsque les principes qu’elle adopte conduisent à sa destruction, une société se doit de les abandonner. Si les principes de l’État de droit nous empêchent de mener la guerre que le djihadisme nous a déclarée, ils doivent être mis au rebut. Ce cynique pourrait ajouter que ces mêmes principes ont régulièrement été abandonnés au cours de la période contemporaine lorsque les circonstances le rendaient nécessaire avec trop d’évidence. La guerre, lorsque se joue la survie d’une communauté politique, n’est-elle pas l’archétype même de la négation de l’État de droit ? Aucun jugement, aucune loi n’est nécessaire pour tirer sur le soldat ennemi. Ici, nécessité fait loi.

Autrement dit, ce partisan des mesures d’exception opposerait la réalité au romantisme, voire, d’une certaine manière, une éthique de responsabilité à une éthique de conviction.

Néanmoins, il est contestable qu’une telle opposition entre un prétendu réalisme d’un côté et un supposé romantisme de l’autre rende compte objectivement des données du problème. Si les principes qui sont les nôtres depuis lors ont été reconnus avec éclat en 1789, ils n’ont pas été découverts sous le coup d’une illumination subite mais furent le fruit d’une longue période de gestation qui peut inclure le Moyen Âge voire l’Antiquité. Ils ont été formulés par des sociétés qui en avaient senti le besoin face à des abus réels. Depuis cette date, ils ont été au cœur de l’idée républicaine et la charte de 1815 à 1848 en avait reconnu l’importance. Bien sûr, il y eut fréquemment des écarts mais prouvent-ils l’inadaptation des principes au réel ou la faillibilité humaine ? Est-ce qu’a posteriori nous défendrions la plupart de ces expériences : la Terreur, l’Empire, le Second Empire, la gestion des colonies, l’affaire Dreyfus, la Première Guerre mondiale, le régime de Vichy, la guerre d’Algérie ? Ne sommes-nous pas toujours revenus aux valeurs que nous avions un temps écartées ? Comment expliquer une telle permanence au-delà des spécificités et des accidents de chaque période ? Pour le comprendre, il faut réfléchir aux mérites de l’État de droit reposant sur le principe de séparation des pouvoirs.

 

Etat de droit et état d'exception

  

 

L'état d'exception désigne, de façon générale, des situations où le droit commun est suspendu, ce qui peut se référer à des cas juridiques distincts, tels que l'état d'urgence, l'état de guerre, etc. La Constitution française prévoit ainsi, dans son article 16, la possibilité pour le président de la République de proclamer un tel état d'urgence, sous certaines conditions qui font l'objet de débats nombreux. 

L'état d'exception est cependant un concept aux frontières floues, utilisé en philosophie politique dans des sens différents. Les débats contemporains, influencés en partie par les événements post-11 septembre 2001, tournent en particulier autour de la définition du souverain proposée par le juriste Carl Schmitt, qui défend une conception dite décisionniste de la souveraineté: le souverain serait, selon lui, précisément celui qui décide de l'état d'exception. Des auteurs comme Walter Benjamin, Jacques Derrida, Giorgio Agamben, etc., ont pu débattre de cette définition.

Les débats nombreux autour de l'état d'exception ont pu souligner d'une part son application dans le temps (suspension de la norme: état de guerre, etc.) et dans l'espace (suspension du droit commun dans le cadre du colonialisme, où le principe de responsabilité collective, par exemple, était souvent appliqué). Il peut, ou non, être contrasté avec l'État de droit : toute la question tournerait alors autour des rapports entre État de droit et état d'exception. S'opposent-ils? Ou au contraire l'État de droit suppose-t-il ou permet-il un état d'exception? Par ailleurs, l'état d'exception peut être généralisé (il s'applique à tous) ou localisé: certains auteurs insistent ainsi sur la législation anti-terroriste ou, de façon plus générale, les juridictions d'exception, comme moyens par lequel l'« État de droit » aménage en son sein un état d'exception ciblé.

 

Etat d'urgence

En France, l'état d'urgence « confère aux autorités civiles, dans l'aire géographique à laquelle il s'applique, des pouvoirs de police exceptionnels portant sur la réglementation de la circulation et du séjour des personnes, sur la fermeture des lieux ouverts au public et sur la réquisition des armes ».

L'état d'urgence peut être déclaré sur une partie ou la totalité du territoire de la République dans des circonstances suivantes : péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public ou évènements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique.

Ce régime exceptionnel organisé par la loi no 55-385 du 3 avril 1955 coexiste avec d'autres modalités de gestion de crise: l'état de siège inscrit à l'article 36 de la Constitution, les pouvoirs exceptionnels inscrits à l'article 16 et enfin la théorie des circonstances exceptionnelles. Historiquement votée pour faire face aux événements liés à la guerre d'Algérie, la loi est toujours en vigueur et sa dernière application remonte aux émeutes de 2005 dans les banlieues françaises.

Conséquences

  • les préfets peuvent interdire sous forme de couvre-feu la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux précis et à des heures fixées par arrêté
  • les préfets peuvent instituer « des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé », interdire de séjour « toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l'action des pouvoirs publics »
  • le ministre de l'Intérieur peut assigner à résidence toute personne « dont l'activité s'avère dangereuse pour la sécurité et l'ordre publics »
  • le ministre de l'Intérieur ou les préfets peuvent « ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacle, débits de boissons et lieux de réunion » et « les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre » ainsi qu' « ordonner la remise des armes de première, quatrième et cinquième catégories ».
  • par disposition expresse, le ministre de l'Intérieur et les préfets peuvent ordonner des perquisitions à domicile « de jour et de nuit », prendre « toute mesure pour assurer le contrôle de la presse et de la radio ». Les perquisitions peuvent être faites sans le contrôle d'un juge.
  • la juridiction militaire, via un décret d'accompagnement, peut « se saisir de crimes, ainsi que des délits qui leur sont connexes »
  • le refus de se soumettre peut être passible d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à deux mois et d'une amende de 3 750 euros, ou les deux.

 

Mérites de l’État de droit

Si le pouvoir était considéré non comme une charge de celui qui le détient mais comme une prérogative personnelle dont il peut jouir selon son gré et qui n’a d’autre objet que son bon plaisir, il n’y aurait pas vraiment d’arguments contre l’arbitraire. Pour qui veut s’y opposer, il n’y a pas d’autre choix que de contester le principe politique selon lequel le pouvoir est au service de celui qui l’exerce. En revanche, si le principe selon lequel le pouvoir doit être exercé au bénéfice de la population est admis, les mérites respectifs de l’arbitraire et de la séparation des pouvoirs peuvent être évalués.

L’idée de la supériorité de l’État de droit sur le régime de l’arbitraire sur le plan des libertés publiques est tellement intégrée à notre culture qu’elle peut passer pour une évidence voire une tautologie. Pourtant, on peut tout à fait concevoir un régime où les pouvoirs sont séparés mais où les citoyens sont soumis à une oppression quotidienne et un despote éclairé employant son pouvoir absolu à préserver les libertés de chacun.

Avant d’examiner les mérites des deux systèmes, il faut admettre qu’ils traitent du pouvoir et donc de la possibilité de contraindre les habitants d’un pays en leur infligeant par exemple de longues « peines » de prison. Or, tous les cas où une personne a autorité sur une autre sont susceptibles d’abus car la personne qui les exerce peut aisément les manier à son profit et au détriment de celui dont la gestion des intérêts lui a été confiée. Le risque d’être spoliées est important pour les personnes placées sous tutelle. Ce risque peut-être dans certains cas un moindre mal par rapport à ce qu’elles connaitraient si elles devaient s’assumer seules, mais la situation d’une personne autonome n’en reste pas moins largement préférable. Cette affirmation s’applique aux conséquences concrètes et pratiques des actes, et non au précieux et simple sentiment d’être libre.

Dans le régime de l’arbitraire, le ou les titulaires du pouvoir a un droit de contrainte sur quiconque. Ainsi, ce qui est vrai des relations entre personnes, l’est également dans le domaine politique : le pouvoir fondé sur l’arbitraire a tendance à s’exercer en vue d’objectifs entièrement différents du bien-être des populations et dans des buts crapuleux ou consistant en un renforcement de ce pouvoir (détention des opposants).

En régime de séparation des pouvoirs, la possibilité de contraindre les citoyens existe tout comme dans le régime de l’arbitraire. La différence est que les représentants de chaque pouvoir (entendu au sens des trois pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires) l’exercent dans un secteur trop délimité pour qu’ils puissent aisément l’employer en vue de fins différentes de celles pour lesquelles il leur a été confié.

En pratique, l’intérêt de ces conceptions a été vérifié par l’expérience. Les pays où ces principes de séparation ne sont pas respectés jouissent d’un degré de liberté systématiquement inférieur à ceux des pays qui les appliquent. Sur ce point, il faut évidemment distinguer l’existence d’institutions judiciaires et parlementaires nominales et leur réelle indépendance. Les habitants des pays où règne l’arbitraire n’y sont pas sûrs de la bonne exécution de contrats, sont incertains de ce qu’ils possèdent et risquent leur vie ou leur liberté s’ils critiquent ouvertement le gouvernement en place.

En revanche, si nous sommes certains de ne pas être libres sans État de droit, l’État de droit ne peut à lui seul garantir notre liberté. Il n’empêche ni l’adoption de lois liberticides, ni les erreurs de jugement, voire la corruption des juges, ni les excès de l’administration pénitentiaire. Une bonne manière de décrire le lien entre l’état de droit et le respect des libertés, est de le présenter comme nécessaire mais non suffisant. L’état de droit ne permet pas complètement de nous rendre libre des immixtions illégitimes de l’État mais nous ne serons jamais libres sans état de droit.

Le débat autour des mesures d’exception telle qu’il se déroule actuellement pointe le doigt sur le risque terroriste et néglige totalement les dangers correspondant aux trop grands pouvoirs accordés aux administrations chargées de lutter contre lui. Qu’il soit éventuellement nécessaire d’adapter les principes en question face à la gravité d’un menace est une chose, que cette adaptation ne présente aucun risque d’abus en est une autre. La fièvre est un moyen de lutte du corps humain contre la maladie mais il n’en est pas un mode de fonctionnement normal.

  

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