Solidarité et Europe sociale

(Les EGIDES de la République)

Ecole, Justice, Industrie, Défense, Europe, Santé 

  

 
 
 
Alors que la crise économique et financière frappe inégalement les pays européens depuis 2008, l’UE s’interroge sur le degré de responsabilité de chacun et la solidarité dont il faut faire preuve pour surmonter cette mauvaise passe. C’est dans l’urgence que les Européens ont créé les mécanismes de solidarité qui faisaient défaut à leur union monétaire. Les questionnements sur la légitimité et la limite de la solidarité européenne sont désormais posés ouvertement. Ils sont d’autant plus cruciaux qu’ils génèrent des tensions qui n’avaient plus cours parmi les opinions publiques nationales et les responsables politiques européens. Ces tensions vont au-delà des questions macro-économiques : elles ont récemment porté sur les mécanismes de solidarité mis en place au sein de « l’espace Schengen » et entourent également, à des degrés divers, d’autres interventions de l’UE, par exemple en matière agricole ou dans le domaine énergétique. Dans ce contexte, les travaux de Notre Europe s’inspirent de la vision de Jacques Delors, qui préconise d’articuler les politiques européennes autour d’un triptyque plus que jamais nécessaire : « La compétition qui stimule, la coopération qui renforce et la solidarité qui unit ». Cette vision, qui a donné corps à l’Acte Unique en 1988, s’inspire notamment du rapport « Stabilité, Efficacité, Equité » de 1987, dans lequel Tommaso Padoa Schioppa indique comment approfondir de manière équilibrée l’intégration économique et sociale européenne. Après avoir placé la solidarité au cœur du Forum européen des Think tanks organisé à Barcelone en septembre 2010, Notre Europe – Institut Jacques Delors a défini un projet plus vaste sur ce thème. 

 

 

L'initiative citoyenne présentée le 7 Janvier 2014 par un large nombre d'organisations fédéralistes, européistes, syndicales, environnementalistes et autres organisations de la société civile part du constat - partagé par la plupart des économistes - que la politique d'austérité mise en oeuvre par l'Union européenne depuis le début de la crise économique n'a pas produit les résultats escomptés : le produit national brut de la plupart des pays de l'Union a baissé alors que le chômage a fortement augmenté jusqu'au chiffre sans précédent d'environ 26 millions de chômeurs. En outre, la dette publique de la plupart des pays de l'Union a augmenté en dépit des mesures prises pour réduire les dépenses publiques dans ces mêmes pays. En d'autres mots, les mesures d'austérité ont réduit la consommation et aggravé la récession économique en Europe.

En agissant de la sorte, les gouvernements des pays de l'Union n'ont pas tenu compte de l'avertissement lancé il y a quelques années par l'ancien Ministre italien des Finances, Tommaso Padoa-Schioppa, selon lequel "la rigueur incombe aux Etats, la croissance revient à l'Union européenne".

En effet, si les Etats membres doivent maintenir sous contrôle les budgets nationaux afin d'éviter qu'un niveau d'endettement excessif ne provoque des attaques spéculatives contre la monnaie unique, le pendant de cette politique restrictive au niveau national doit être nécessairement une politique expansive au niveau européen dans la mesure où le budget européen n'a pas de dettes et ne peut, dès lors, faire l'objet d'attaques spéculatives. Autrement dit, il revient à l'Union européenne de financer un programme d'investissements publics qui puisse relancer la croissance et réduire le chômage dans la mesure où la plupart des Etats membres ne sont pas en mesure de prendre en charge un tel programme à cause du respect des critères du Pacte de Stabilité et du Fiscal Compact.

C'est pour ces raisons qu'un nombre important d'organisations de la société civile ont lancé l'initiative citoyenne "New Deal for Europe" le 7 Janvier 2014 après avoir constitué un Comité européen (comme prévu par le règlement d'application de l'art. 11 du Traité de Lisbonne) et des Comités nationaux pour le recueil des signatures dans plusieurs pays de l'Union (Belgique, France, Espagne, Italie, Grèce, Luxembourg, République tchèque, Hongrie) auxquels se sont ajoutés successivement d'autres Comités (Allemagne, Autriche, Chypre).

 

 

L'initiative citoyenne "New Deal for Europe" vise l'adoption par les institutions de l'Union d'un plan européen extraordinaire d'investissements publics pour la production et le financement de biens publics européens (énergies renouvelables, réseaux d'infrastructures, télécommunications à haut débit, protection de l'environnement et du patrimoine culturel, agriculture écologique, etc.), ainsi que l'établissement d'un Fonds européen de solidarité pour la création de nouveaux emplois, en particulier pour les jeunes. Le financement de ce programme devrait être assuré par des nouvelles ressources propres du budget européen, telles qu'une taxe sur les transactions financières et une "taxe carbone" sur les émissions d'anhydride carbonique.

Le caractère européen du plan

En vertu du principe déjà rappelé : "La rigueur incombe aux Etats, la croissance revient à l'Union européenne", il n'est guère possible Groupe de réflexion sur l’avenir du service public Européen d'envisager la relance de la croissance économique en Europe par le biais de programmes nationaux. La plupart des pays européens souffrent d'un niveau d'endettement budgétaire qui ne leur permettrait pas de consacrer des ressources significatives à un vaste programme d'investissements publics, tels qu'ils seraient nécessaires pour renverser la récession en cours. Le respect des critères du Pacte de Stabilité et du Fiscal Compact (3% du PIB pour le déficit annuel et parité structurelle du budget national à partir de 2015 ; réduction progressive de la dette publique jusqu'au niveau de 60% du PIB dans les 20 prochaines années) empêche la plupart des pays de l'Union, sauf changement des critères précités, de consacrer des dizaines de milliards par an au financement d'investissements publics qui seraient pourtant nécessaires.

L'expérience faite dernièrement par certains Etats membres (par exemple l'Italie) montre combien il est difficile de consacrer des ressources suffisantes et/ou de réduire l'imposition fiscale pour améliorer le pouvoir d'achat des citoyens et relancer la consommation.

A supposer même que l'Union européenne décide d'assouplir les critères du Pacte de Stabilité (par exemple, en exemptant du calcul du 3% du PIB les dépenses nécessaires pour financer les investissements productifs), il n'est nullement certain que les marchés financiers ne pénalisent pas les pays qui augmenteraient ainsi leur déficit budgétaire par l'augmentation des taux d'intérêt, ce qui annulerait une large partie du bénéfice attendu par cette opération financière. Par ailleurs, des mesures expansives prises au seul niveau national seraient inefficaces car une large partie de leurs effets économiques serait compensée par une augmentation des importations en provenance d'autres pays européens.

La mise en oeuvre à ce jour du "Pacte pour la croissance et l'emploi" décidé en principe par le Conseil européen de Juin 2012 confirme largement ce qui précède. Ce Pacte prévoyait un apport financier du budget européen de 60 milliards d'euros, dont seulement 5 milliards d'argent frais et 55 milliards provenant du recyclage des crédits destinés aux Fonds structurels de l'UE. Pour le reste, la Banque européenne d'investissements (BEI) aurait dû consacrer 60 milliards d'euros au financement d'investissements et projets d'infrastructures dans les pays de l'Union. Jusqu'à présent, l'utilisation des crédits destinés aux Fonds structurels n'a été que partielle et le financement de micro-projets dans la plupart des pays n'a pas renversé la tendance récessive ni permis la création d'un nombre significatif de nouveaux emplois. Par ailleurs, la BEI n'a pu consacrer les 60 milliards d'Euros prévus au financement de projets d'investissements ou d'infrastructures faute de cofinancement national de la part des pays bénéficiaires (ce qui confirme l'absence de ressources nationales disponibles). Il s'ensuit que seul un plan européen financé par le budget de l'Union et par des "euroobligations" aurait la capacité financière nécessaire pour sortir l'Europe de la crise économique et créer des nouveaux emplois.

Le caractère extraordinaire du plan

Le cadre financier pluriannuel pour la période 2014-2020 ne dispose pas des ressources nécessaires pour financer un vaste programme d'investissements publics tel qu'il serait nécessaire pour financer la création de nouvelles infrastructures énergétiques, de transport et de télécommunications, relancer la consommation de biens publics européens et créer de nouveaux emplois stables.

D'une part, les réductions apportées au projet de cadre financier établi par la Commission européenne ont frappé surtout les crédits destinés à la recherche et l'innovation, d'autre part les crédits consacrés à l'emploi des jeunes (la "Garantie Jeunes"), qui s'élèvent à environ neuf milliards pour la période 2014-2015, sont manifestement insuffisants pour réduire de manière significative le chômage des jeunes dans la plupart des Etats membres.

Des investissements très importants sont nécessaires pour financer la création de nouvelles infrastructures en Europe. Selon des estimations préliminaires de la Commission européenne, un montant d'investissements se situant entre 1.500 et 2.000 milliards d'Euros seraient nécessaires dans les 30 prochaines années dans les secteurs des transports, de l'énergie et des télécommunications (dont 550 milliards pour réaliser le "Trans-European Transport Network (TEN-T), 400 milliards pour les réseaux de distribution énergétiques et les réseaux dits intelligents, 500 milliards pour la modernisation et la construction de nouvelles capacités énergétiques, etc.). Enfin, entre 180 et 270 milliards d'euros d'investissements seraient requis pour fournir à toutes les familles le haut débit rapide et ultra-rapide d'ici l'année 2020.

Par conséquent, les crédits disponibles à l'heure actuelle dans le budget européen sont manifestement insuffisants pour un programme d'investissements publics tel qu'il serait nécessaire pour réaliser les réseaux d'infrastructures mentionnées ci-dessus et pour réduire de manière significative le nombre des chômeurs, surtout parmi les jeunes européens. C'est la raison pour laquelle il est indispensable de lancer un plan de développement extraordinaire, financé par des nouvelles ressources.

Le cadre financier pluriannuel pour la période 2014-2020 prévoit une révision à mi-parcours (mid term review) à la fin 2016-début 2017, période qui pourrait coïncider avec l'adoption par les institutions européennes d'un plan de développement extraordinaire. Ce calendrier ne serait pas nécessairement trop tardif car, selon un document de la Commission européenne, l'Europe ne sortira pas de l'actuelle crise économique avant la fin de la décennie. A supposer que la révision à mi-parcours ne permette pas de dégager des ressources suffisantes pour le financement du plan en raison de la nécessité de réunir l'unanimité des 28 Etats membres, l'on ne peut pas exclure que les pays de la zone euro ou les pays désireux de mettre en oeuvre le plan de développement selon la formule d'une "coopération renforcée" décident de créer un instrument financier propre à la zone euro ou d'octroyer des nouvelles ressources par la voie d'un accord intergouvernemental (selon la formule utilisée pour la création du Mécanisme européen de Stabilité) (voir également ci-dessous sous point c).

La création de nouvelles ressources propres

L'initiative citoyenne "New Deal for Europe" part du constat, contenu dans un rapport de la Fondation "Notre Europe", que la relance de l'économie européenne exige un important renversement de tendance, avec un montant de nouveaux investissements publics de l'ordre de 1% du PIB européen, à savoir d'au moins 100 milliards d'euros par an. Compte tenu de l'impossibilité de repérer cette somme dans le cadre du budget actuel, l'ICE "New Deal for Europe" propose la création de deux nouvelles ressources propres, à savoir une taxe sur les transactions financières et une "taxe carbone". Les ressources provenant des taxes précitées permettraient au budget européen de contracter des "euroobligations" (Euro Project bonds) et de stimuler des investissements privés supplémentaires en vue de la réalisation des projets d'infrastructures et de la production de biens publics européens tels que mentionnés ci-dessus.

La taxe sur les transactions financières devrait être utilisée pour rendre socialement soutenable la transition du système économique et pour déplacer, au moins en partie, la charge fiscale du travail précaire vers les rentes financières. Cette taxe permettrait, selon les calculs de la Commission européenne, de repérer entre 30 et 40 milliards d'Euros chaque année. A l'heure actuelle, une proposition de directive concernant l'introduction de cette taxe (TTF) au niveau européen est en discussion au sein du Conseil selon la formule des "coopérations renforcées" qui permettent à une partie des Etas membres d'adopter un acte européen en l'absence d'unanimité. Les conditions pour le recours à une "coopération renforcée" ont été jugées comme étant réunies par la Cour de Justice européenne qui a rejeté un recours présenté par le gouvernement britannique.

La question essentielle qui se pose est de savoir si les onze Etats membres disposés, à ce jour, à introduire cette nouvelle taxe sont également disposés à verser au moins une partie des ressources provenant de la TTF au budget européen (condition essentielle pour financer une partie du plan d'investissements publics préconisé par l'initiative citoyenne "New Deal for Europe").

La "taxe carbone" ferait partie d'une révision générale du système d'imposition des produits énergétiques afin de réduire le niveau d'importations de combustibles fossiles et de rendre plus attrayante l'utilisation de produits énergétiques à émission réduite de CO2.

Cette approche avait été déjà préconisée par la Commission européenne dans sa communication du 13 Avril 2011 pour une imposition fiscale plus intelligente de l'énergie au sein de l'Union européenne

La création d'une "taxe carbone" devrait permettre de verser au budget européen des ressources de l'ordre de 50 milliards par an. Cette somme serait utilisée également comme garantie pour l'émission d'Euro-obligations (Euro Project bonds) nécessaires au financement du plan d'investissements précité. Il s'ensuit que ce plan pourrait disposer au total d'environ 130 milliards par an pour un montant global d'environ 400 milliards d'euros sur trois ans.

L'adoption d'un plan européen de développement impliquant des investissements publics significatifs et le recours à une imposition fiscale européenne devrait naturellement être accompagnée par une réduction des dépenses prévues actuellement au niveau national dans les secteurs d'intervention de l'Union européenne.

Bien entendu, il faut être conscient du fait que la création de nouvelles ressources propres de l'Union exige une décision à l'unanimité des 28 Etats membres, suivie par les ratifications nationales (art. 311 TFUE). Il faut s'attendre, par conséquent, à ce que cette décision n'intervienne pas dans des délais raisonnables (d'autant que les Etats membres attendront le dépôt du rapport sur les ressources propres confié au groupe d'experts présidé par M. Monti). Une modification de la décision "ressources propres" - avec les mêmes exigences procédurales - serait également nécessaire pour introduire une obligation de financement d'un plan de développement ou de tout autre instrument financier à charge des seuls Etats membres de la zone euro. Par conséquent, une solution alternative envisageable serait celle esquissée dans le document de la Commission européenne appelé "Blueprint for a genuine EMU" du 28 novembre 2012. Selon ce document, il est possible de créer un nouvel instrument financier au sein du budget de l'Union pour appuyer la croissance de l'économie européenne.

La base juridique de cet instrument financier pourrait être l'art 136(1) TFUE, qui prévoit la possibilité d'adopter des mesures concernant uniquement les pays de la zone euro ou, de manière juridiquement plus solide, l'art. 352 TFUE. Si le financement de cet instrument financier ne pourrait pas être assuré par une modification de la décision sur les ressources propres à cause des exigences procédurales précitées, il faudrait prévoir un engagement des Etats membres participants, en dehors des Traités et sur une base intergouvernementale, de verser les "ressources affectées" nécessaires au budget de l'Union.

La base juridique nécessaire

L'initiative "New Deal for Europe" a prévu comme bases juridiques possibles pour l'adoption du plan européen les articles du Traité relatifs à la plupart des politiques sectorielles (politique agricole commune, politique de l'emploi, réseaux transeuropéens, politique de cohésion, politique de recherche). Ces bases juridiques, utilisables en partie ou en totalité en fonction des mesures concrètes que pourrait proposer la Commission européenne, auraient l'avantage de permettre l'adoption d'un plan européen de développement selon la procédure législative ordinaire (majorité qualifiée au sein du Conseil et codécision avec le Parlement européen).

Toutefois, au cas où ces bases juridiques ne seraient pas jugées suffisantes pour l'adoption du plan, l'initiative citoyenne "New Deal for Europe" prévoit le recours, à titre accessoire, à la clause de flexibilité de l'art. 352 TFUE. Le recours à cette clause, dans ce cas à titre alternatif aux autres bases juridiques (conformément à la jurisprudence de la Cour de Justice), serait possible dans la mesure où le Traité vise dans son art. 3 l'objectif du développement durable et du plein emploi sans avoir prévu pour autant les moyens d'action nécessaires pour le réaliser. Le recours à l'art. 352 rendrait nécessaire un accord de tous les Etats membres pour l'adoption du plan : cependant, l'exigence de l'unanimité des Etats membres serait de toute manière requise pour la création de nouvelles ressources propres, qui représente une "condition sine qua non" pour le financement du plan. Un accord unanime serait également nécessaire dans les cas où les pays participants décideraient de verser au budget de l'Union les ressources nécessaires au financement du plan par la voie d'un accord intergouvernemental (voir ci-dessus sous point c). Par conséquent, même si l'adoption du plan de développement pouvait se faire sur une base juridique majoritaire ou moyennant le recours à une éventuelle "coopération renforcée", l'accord des pays participants pour le financement du plan devrait se faire en tout état de cause à l'unanimité.

La prise en compte effective du résultat des élections européennes exige une réorientation des politiques de l'Union européenne vers la croissance et l'emploi. La Chancelière allemande a demandé aussi qu'une des quatre priorités de l'Union soit la croissance et l'emploi. Aussi bien le Premier Ministre italien que celui du Royaume-Uni sont intervenus dans le même sens. Il serait paradoxal que toutes les personnalités politiques qui demandent le respect du résultat des élections en ce qui concerne le choix du Président de la Commission ignorent la demande de la grande majorité des électeurs européens pour mettre un terme aux mesures de seule austérité de la part de l'Union.

Qui plus est, les journaux et les media des dernières semaines sont "noyés" d'analyses et de déclarations de la part d'économistes et autres experts de l'intégration européenne en faveur du lancement d'un vaste programme d'investissements publics en tant que moyen privilégié pour stimuler la croissance et réduire le chômage.

 

L'Espace républicain